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mercredi 25 février 2009

Fièvre de l'or

Voici un nouveau texte de Gilberto Pauwels sur une réalité plus que surprenante vécue en Bolivie...


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À notre arrivée sur la ‘plaza’ de La Joya, un spectacle inquiétant nous attend. Deux groupes de villageois se font face, se criant et s’accusant. Parmi les ‘contratistas’ on distribue des bâtons de dynamite et de temps en temps on entend des salves. Un père renie publiquement sa fille, un frère s’oppose à sa soeur, des jeunes invectivent un oncle ou une tante. La fièvre de l’or est une maladie dangereuse. Que se passe-t-il ?

En chemin nous croisons une auto de police avec le pare-brise fracassé, mais nous ne réalisons pas, qu’en fait, elle est en fuite. Nous, (avec Johnny, Clemente et Limbert de CEPA), étions invités à assister au lancement d’une initiative originale : une entreprise communautaire (‘empresa comunitaria’) d’un village dont les habitants veulent exploiter ensemble leur montagne d’or. À notre arrivée, les partisans de cette initiative nous mettent au courant que les ‘contratistas’ qui avaient déjà commencé l’exploitation dans les puits de la montagne à leur propre compte, s’opposent au projet communautaire et qu’ils détiennent en otage les dirigeants du projet afin d’empêcher son lancement. Je prends mon courage à deux mains et demande au groupe des ‘contratistas’ la permission de voir les otages. Une fois rejoint les otages, René et Rolando, je décide de rester avec eux.

La Joya est un village situé au pied d’une montagne d’or du même nom, où déjà, du temps des Incas, on creusait pour exploiter l’or et l’argent. Dans les années 70, Inti Raymi, une compagnie minière américaine, maintenant devenue la propriété de Newmont, le plus grand producteur d’or au monde, acquiert les droits d’exploitation de toute la montagne. Par contre, la compagnie préfère s’attaquer d’abord à une autre colline, Kori Kollo, à quelques kilomètres de là et plus riche en or. Entre-temps cette colline s’est transformée en un trou de 250 m. de profondeur, rempli d’eau polluée, où l’or et l’argent, obtenus par lessivage à la cyanure, pour une valeur de plus de 2 milliards de dollars, furent transportés au Nord. Actuellement on continue à ronger les collines avoisinantes.



Par contre, les habitants du village de La Joya refusent de donner la permission à Inti Raymi de transformer leur montagne en un trou béant. Ils veulent une exploitation seulement via les puits d’extraction, comme jadis dans le Cerro Rico de Potosí. Inti Raymi décide alors de les laisser faire à leur propre risque. 33 groupes, au total 171 ‘contratistas’ peuvent se mettre au travail à condition qu’ils vendent leur minerai non-lavé à Inti Raymi, chaque groupe a droit à 60 tonnes (trois camions) par mois. Seul l’acheteur lui-même détermine le poids et la teneur en or des cargaisons. Il s’agit de l’exploitation à outrance, sans aucun planning et dans des conditions de travail épouvantables. Les différences sont grandes. J’ai ici devant moi quelques accusés de réception : un groupe a reçu 2000 Bs ( 285 $ US) par camion, et un autre 48.000 Bs (6855 $), selon la teneur. Certains qui trouvèrent une bonne veine purent se permettre de faire travailler pour eux des campesinos du nord du Potosí.

Dans la Réforme Agraire de 1953, le territoire de La Joya, qui appartenait avant à des ‘hacienderos’, fut redistribué entre 168 campesinos. Les descendants de ces 168 ‘sayañeros’ se considèrent tous maintenant propriétaires de la montagne d’or et exigent leur part du butin. Inti Raymi choisi donc de mettre fin au contrat des ‘contratistas’ et de passer le droit d’exploitation à l’entreprise communautaire avec ses 168 familles — entre-temps agrandies — comme propriétaires. C’est ainsi que fut créée la base du conflit qui a éclaté lundi passé et dont nous avons été témoins. Ainsi, Inti Raymi, intentionnellement ou non, a semé dans le village une dissension qui difficilement pourra être résolue. Les ‘contratistas’ veulent continuer à travailler individuellement et au hasard. Les autres veulent une entreprise communautaire avec trois travailleurs par ‘sayaña’ ( 504 au total), avec une production commune et un partage solidaire des bénéfices. De toute façon la production en minerai d’or restera — sans obligations sociales ni environnementales — dans les mains d’Inti Raymi. Mais depuis que l’entreprise communautaire soulève qu’elle peut faire elle-même la transformation, Inti Raymi préfère maintenant appuyer les ‘contratistas’.

Pendant que je commence à comprendre la situation, grâce aux tergiversations des otages avec un groupe de femmes chargées de la garde des otages, nous faisons tout notre possible pour qu’une commission d’autorités vienne résoudre la crise sur place. En vain. En ville, ils ont reçu des informations alarmantes au plus haut point — les nouveaux moyens modernes de la communication amènent des situations surprenantes lors des conflits — et maintenant personne n’ose encore venir à La Joya. Il nous reste qu’à trouver nous-mêmes une solution.

Nous arrivons à un accord pour se réunir demain à la préfecture d’Oruro avec une délégation de 15 personnes de chaque groupe et les membres du gouvernement. Mais quoi faire avec les otages ? Leurs adversaires craignent qu’une fois libérés, ils se dérobent au dialogue. Je propose de les amener à la maison et me pose garant de leur présence à la réunion. Et c’est ce qui se passe. Après sept heures de pourparlers, René et Rolando, soulagés, partent avec nous à Oruro.

Mardi, les deux groupes se sont présentés au complet à Oruro et la réunion a eu lieu à la préfecture. Je suis content d’entendre qu’on est disposé à élaborer une réglementation qui doit permettre aux deux groupes de se fusionner en une seule entreprise. Mais je crains que ce soit un long et difficile processus.Le lendemain, (hier) les dirigeants de l’entreprise communautaire viennent nous voir à CEPA avec la demande de les assister dans la gestion environnementale ainsi que dans l’organisation de l’entreprise sur la base des principes des peuples andins. En effet, dans la nouvelle constitution bolivienne on a prévu l’existence de ‘empresas comunitarias’ ( à côté des entreprises publiques et privées ainsi que des coopératives) (art. 306, 307, 311) mais ce que cela comprend est encore loin d’être clair. Au fond, appuyer une telle initiative innovatrice, au beau milieu d’une situation conflictuelle, cela dépasse nos capacités …


…Tout cela témoigne de la dynamique énorme qui secoue la société bolivienne. Et de la maudite habilité avec laquelle les entreprises multinationales savent toujours et à nouveau sauver leurs intérêts.


Gilberto Pauwels,
Oruro, Bolivia